La situation de Mabel (appelons la ainsi) m’intrigue beaucoup. J’y ai longtemps réfléchi mais je n’arrive toujours pas à comprendre le sens profond de son désarroi. Pourquoi est-elle si mal dans sa peau ? Comment l’aider à reprendre confiance en elle ? Que faire ? Lorsque j’ai posé la question autour de moi, la réponse que j’ai reçu a été cinglante : ‘’Qu’attend –elle de la vie qu’elle n’a déjà reçue ?’’ Quand Mabel se lève tous les jours que Dieu fait, elle a tout un programme.
Le ‘’tout un programme’’ de Mabel se résume comme suit : Quand elle se lève le matin, son café est déjà prêt et l’attend tout chaud et fumant tout en distillant cette odeur agréable que ne peuvent apprécier que les amateurs de bon café. Une bonne odeur de café qui apaise et chasse les effets d’insomnie de la veille. Sa petite nièce qui vit avec elle et qui l’aide dans la gestion de la maison le lui a déjà apprêté comme elle le fait tous les matins. L’habitude et la routine lui ont laissé une discipline stricte à suivre. La première chose qu’elle fait quand elle se lève est de s’occuper du petit déjeuner de son mari (eh oui ! celui-là il aime être bien servi). Ensuite elle va aussi apprêter son déjeuner du midi à emporter avec lui. (Monsieur ne veut pas aller manger dans un restaurant). Et quand elle finit ces tâches, elle fait le tour de la propriété pour vérifier que les tâches distribuées sont bien remplies et elle retourne dans sa chambre. Monsieur est déjà parti. Elle s’assoie sur son pouf préféré et observe son image dans le miroir qui est juste en face d’elle. L’alarme vient d’indiquer 7h30 du matin et voilà déjà 2 heures que Mabel est debout. Elle jette un regard à ce reflet que lui renvoie ce miroir et pousse un grand soupir. Elle contempla un moment cette image qui lui dit qu’elle est une femme qui rayonne de beauté dès son réveil. N’est-ce pas qu’un proverbe africain dit ceci : ‘’C’est au réveil que la vraie beauté de la femme est appréciée’’. Mabel est belle et elle le sait.
Alors qu’elle se contemple dans le miroir, elle s’offre quelques minutes de réflexion. Elle regarde les rangées de chaussures qui s’étalent sur une bonne longueur et se dit qu’elle doit s’offrir une autre paire. Elle scrute son armoire et regarde cette porte qui n’arrive plus à fermer car trop pleine d’effets vestimentaires et autres détails dont seules les femmes ont le secret et elle écrasa une larme au coin des yeux. ‘’J’ai vraiment besoin d’une nouvelle tenue’’ souffla t-elle. Elle s’approcha du miroir et scruta son visage. Ces boutons qui pointent obstinément le nez lui indiquent qu’elle a désespérément besoin d’un bon soin chez l’Esthéticienne. Elle esquissa un sourire en coin. Un de ces 4 matins il va falloir qu’elle puisse aller s’offrir ce soin comme par le passé. Elle souffla à nouveau: Comme c’est dur d’être belle ! C’est pire que de ramer à contre-courant car on dirait que la terre vous en veut de vouloir conserver votre beauté. Alors qu’elle continuait de fixer cette image qui la fascinait, elle repassait dans sa mémoire quelques réflexions :
– Chéri j’aurais besoin d’aller m’acheter de nouveau vêtements,
– réponse : tu n’as pas fini de porter tout ce qui est dans cette armoire là-bas.
– Mais justement j’ai pris énormément de poids et je dois renouveler la garde robe.
– réponse : au lieu de passer tout le temps à te goinfrer comme je sais là tu aurais plutôt intérêt à commencer à faire le régime.
C’est comme si tout est contre vous afin que cette beauté vous file entre les doigts, se dit-elle.
– Chéri tu t’en vas ?
– réponse : oui, moi je vais bosser (tiens se dit-elle, ça veut dire qu’il ya quelqu’un qui ne bosse pas dans cette maison).
– Chéri je n’ai pas un sou à la maison et je peux avoir besoin de quelque chose pour la maison.
– réponse: voilà je t’ai posé 5000 cfa sur la table.
Le claquement de la porte lui a signifié que le débat était clos. No talk anymore. Il faut la boucler.
Cela s’est passé juste après qu’elle soit levé à 5h du matin pour préparer le petit déjeuner de Monsieur le mari ; après qu’elle ait apprêté le déjeuner de Monsieur le mari pour qu’il n’ait pas fin au moment du déjeuner ; que lorsque ses collègues viendront chez lui qu’ils puissent trouver quelque chose à manger comme ils le font toujours parcequ’ils savent que Monsieur le mari rapporte toujours de bons petits plats. Il y en a même un qui une fois lui avait demandé entre deux bouchées: ‘’comment fait –t-elle ta femme pour apprêter de si bons petits plats de si bon matin ? Faut lui transmettre mes amitiés de ma part.
Et Mabel se mit à réfléchir : les 5000 f ne suffiront pas pour faire le marché. Elle n’a pas osé lui dire qu’il faudra ajouter quelque chose pour le marché du jour car il y avait beaucoup de condiments qui manquaient surtout si elle doit préparer le repas du soir, il lui faudrait impérativement ses ingrédients là. Alors elle se met à réfléchir sur comment utiliser cet argent au moins. Son calcul rapide lui a fait comprendre qu’il va falloir faire des sacrifices comme toujours. Se priver pour avoir un semblant d’équilibre. Le billet de 5000 f servira à faire le marché du jour et elle va rester à la maison à tourner en rond comme une lionne en cage. Parce que il n’y aura plus rien pour son taxi alors qu’elle voulait faire un saut en ville. Et bien Madame n’a pas de moyens de déplacements, et Monsieur le mari dit qu’il y pensera ‘’quand cela sera, demain n’est jamais trop loin ; qui vivra verra. Depuis que Monsieur le mari lui a chanté cette chanson elle sait à quoi s’en tenir. Ses déplacements ne regardent pas Monsieur le mari. Lui quand il se lève et qu’il a pris son petit déj ; il prend le sac qui lui est préparé et fonce à sa voiture qu’on a lavé tout propre. Il met le contact et c’est à peine qu’il vous souffle ‘’un aurevoir’’ que vous entendez la porte du garage se refermer.
Le ‘’tout un programme’’ de Mabel ne s’arrête pas là pour ce qui est des activités alors que va commencer ses longues et interminables questions qui ne trouvent pas toujours de réponse. Elle aimait parler à son image dans la glace. Elle se mettait devant sa glace et elle se parlait. Elle énumérait les longues promesses non tenues ; son inactivité qui commençait à lui peser car elle voudrait reprendre du service ; elle voudrait recommencer à travailler et gagner sa vie comme avant. Alors que les idées s’affolaient dans sa tête, elle fixa son attention sur l’écran de la télé qui s’alluma. Son attention se figea lorsque l’un des intervenants a parlé du sens à donner à la vie. ‘’Donner un sens à sa vie’’. Les yeux de Mabel s’ouvrirent si grand qu’on eut l’impression qu’ils allaient sortir de leurs orbites.
Et l’intervenant continuait de présenter ses conclusions. Donner un sens à sa vie c’est arrêter les séances de cogitation et les nuits sans sommeil. C’est arrêter de marcher au hasard comme un zombie en mal de reconnaissance. Donnez un sens à sa vie permet de se lever le matin avec un sourire aux lèvres ; tout en étant excité à l’avance de ce que la journée vous réserve et qui est exceptionnel. Quand on se lève le matin, on doit avoir un but, un sens, une orientation. On doit savoir où l’on va. Notre journée devra être bien tracée et bien remplie ; car c’est ce qui nous donnera cette plénitude d’une vie pleine et équilibrée.
Mabel resta figée, hypnotisée. Comme un flash qui lui a traversé son corps et son esprit, elle se dit qu’elle venait de trouver le problème à son mal être. Eeeeeh oui ! Elle n’arrive pas à donner un sens à sa vie. C’était son problème. Il faut qu’elle puisse se dire ‘’voilà’’ ce que je vais faire aujourd’hui, demain, et après demain. Son espoir n’a été de courte durée. Dans sa tête, les idées bougent énormément. Elle veut bien se secouer pour donner un sens à sa vie, mais comment trouver tous ces moyens qui peuvent l’aider à s’aider moi-même ? Qu’est –il possible de faire quand des petits challenges journaliers se transforment en un casse-tête indéchiffrable. …Et Mabel continuera de cogiter ainsi jusqu’au soir. Faut surtout pas qu’on vienne lui demander d’aller chercher quelque chose à manger. La bouffe, ça ne lui dit rien.
Et elle continue à penser…… Donner un sens à sa vie est l’exercice qui l’aidera à avoir cette confiance et ce courage pour recommencer à surfer sur le dos de la vie. Mais en même temps les questions ‘’ comment et que faire’’ sont toujours là qui entravent le chemin. Mabel ne pourra plus ressortir de cette chambre. Et la journée s’égrènera tout doucement, trop calmement. Tel un supplicié qui attend son heure, elle va tourner en rond dans cette chambre en cherchant désespérément une bouée de sauvetage hypothétique pour s’y accrocher et retrouver sa sérénité afin d’émerger de ce rêve infernal.
Le drame de Mabel est simple comme tous les drames savent l’être. Tant qu’elle n’aura pas trouvé l’astuce pour donner un sens à sa vie, elle se lèvera tous les matins et se fera ‘’tout un programme’’, qui lui laissera toujours un gôut amère dans la bouche comme quelque chose d’inachevé.
Nos routes sont variées et nos objectifs multiples. Et pourtant dans ce brouhaha, nous devons nous frayer un chemin pour donner un sens à notre vie. C’est impératif ! Notre vie n’aura du piquant qu’à cette condition.
Faites –le pour Mabel, pour vous-mêmes qui me lisez en ce moment et pour moi.
LM.
